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ON N'EN PARLE JAMAIS!
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24 juin 2011

17. Un jour il faut passer à la caisse

Résumé du précédent épisode : Joël tente une escapade depuis le Pays Basque via Barcelone pour s’envoler vers l’Islande quand un méchant nuage le cloue au sol. Il entend les échos de Lucio un militant libertaire tandis que les autres activistes se bougent depuis Pyla et que Léa veut aller manifester contre la centrale nucléaire du Blayais en Gironde.

 hondag

 

-         Abruti ! Crétin ! Bâtard, ahuri, honte de la famille ! Soixante-huitard de merde ! Comment as-tu osé ?! Mon petit Frédéric…

-         Ma chérie ! Ce n’est pas du tout ce que tu penses !

-         Je ne suis plus ta chérie depuis au moins trente ans ! Est-ce que tu saisis au moins ce que signifie un Bac C ?

-         Mais avec son prix au concours Lépine, il rentre au MIT[1] comme il veut !

-         Il ne manquait plus que cela, qu’il disparaisse outre-Atlantique ! Non mais tu te fous vraiment de la gueule du monde ? C’est pas parce que tu t’es pas foulé à te reproduire qu’il faut détruire les familles de ceux qui t’aiment!

-         Excuse-moi d’insister mais je te disais bien qu’il s’agit d’un problème affectif...

-         Salope ! Crevure ! J’aurais ta peau !

 

Joël considéra le combiné d’un air embarrassé. Marie-Sophie, la mère de Frédéric, avait raccroché brutalement. Il valait mieux ne pas la rappeler tout de suite. Le regard de Joël dériva au-dehors de la cabine téléphonique. Au-delà des murs médiévaux, pierre  tagguée de graffitis hébreux, il y avait le célèbre bar alternatif La Vaca, planqué derrière des rideaux de fer rouillés. Hegoa avait tenu à y aller parce qu’on racontait sur la côte basque que Manu Chao, le swing aux basques, y jouait parfois des bœufs sur les caisses en carton faisant office de table. Joël  les imagina tous les deux, les mains dans les mains. Ils attendaient le verdict. Hegoa devait partir au Mexique, à Puerto Escondido, se fondre dans les impressionnants rouleaux du Pacifique. Pour Frédéric, il n’y avait aucune négociation envisageable. Il devait suivre Hegoa afin de la protéger des serpents de mer, des requins et de ses collègues surfers aux corps athlétiques et basanés. Mais le môme avait tout de même pressenti l’ouragan maternel à cause du bac C et supplié que Tonton se colle au jeu du médiateur.  Joël se gratta la tête : comment allait-il leur annoncer ça ?

 

Niels conduisait la voiture hybride qu’il avait louée à Hondarribia, sitôt passé le fleuve-frontière. L’exigence immédiate de Léa l’avait cependant saturé. Comment pouvait-elle être aussi légère ? Elle avait insisté, soutenue sans défaut par sa morpionne de Dagmar, toujours plus bougonne. A 18 heures, sur la rive sud de la Bidassoa, il était hors de question de ne pas courir se goinfrer de délicieuses tapas[2] dans les bars du port d’Hondarribia. La militance ne peut pas et ne doit pas empêcher la gastronomie !  Léa eut de surcroît l’impudence de préciser que l’on y mitonnait la meilleure morue au monde, ce qui assombrit définitivement le géant norvégien.  Mais la vérité ultime, c’était que les tapas d’Hondarribia, c’était le bon dieu en culottes de velours, après tant de jambon de Bayonne… Un petit txacoli de Guetarria bien frappé là-dessus et ils oublièrent jusqu’à la centrale du Blayais où ils s’étaient rendus la veille…

 

En revanche, on n’avait pas oublié leur passage tapageur. Les militants déployaient sur les digues de la centrale, positionnés depuis la Gironde pour éviter les accusations d’atteinte à la propriété privée,  de grandes bâches de plastique sur lesquelles était écrit « Centrale atomique en voie d’extinction » ou encore « Déblayez le Blayais », « Gironde saine », etc. Ceux de Greenpeace vinrent serrer la pince de Nils : ils se connaissaient d’actions sur les plateformes pétrolières en Mer du Nord.  Zuleika, une grande asperge polonaise aux cheveux carotte ébouriffés, le salua l’air de rien et ils s’éloignèrent aussitôt. Ils ne se parlèrent que face au fleuve, sans témoins.

-         Ça va, Zule ?

-         Ça fait aller. Mon mec est en tôle à Dresde. Les risques du métier…

-         Mais en Allemagne, comme activiste écolo, il risque vraiment quelque chose ?

-         Détrompe-toi, depuis que les Verts sont arrivés au pouvoir, ils veulent démontrer qu’ils savent aussi faire respecter l’ordre…

-         Le pouvoir absolu corrompt absolument.

-         Bon, finissons-en avec les formalités sociales, on n’est pas sur Facebook.

-         C’est quoi cette situation d’alerte ?

-         Un chapitre de l’histoire de l’humanité, nommé « Tremblements de terre et centrales nucléaires ».  Je te jure qu’on dirait qu’ils le font exprès. Les centrales sont toutes construites sur des sites sensibles, comme ici au Blayais ou à proximité de failles sismiques, comme au Bugey.

-         Quelle est la situation sur place ?

-         Lors du tremblement de terre en Méditerranée, les piles de déchets nucléaires, oubliés depuis dix ans à la centrale du Bugey, se sont effondrées. Un de ces bidons contenait de l’eau fortement radioactive, il s’est renversé sur le sol, à même la terre. Les spécialistes travaillent afin d’éviter que cette eau contamine la rivière et provoque ainsi un accident radioactif majeur dans le Rhône.

-         Ah. C’est pas rien, tout de même…

-         Mais le problème, c’est que depuis l’accident de Fukushima, les français font dans la chape de béton armé en guise de transparence en matière de centrale nucléaire, confondant sarcophage et information démocratique. On ne peut pas approcher à moins de dix kilomètres du Bugey, la gendarmerie monte la garde pour qu’on ne sache rien, ils défendent une entreprise privée comme s’il s’agissait de l’honneur de la nation. Mais bon c’est vrai, Areva est l’exception européenne, une entreprise privée sous le contrôle direct du président de la République française… Une seule chose est sûre, on n’en saura pas plus…

-         Et cette histoire de Fukushima, c’est vraiment grave ?

-         Quoi, Nils, toi, tu n’es pas au courant ?!

-         … J’étais absent…

-         Le plus fort tremblement de terre de l’Histoire de l’Humanité a provoqué sa pire catastrophe nucléaire. Trois réacteurs en fusion, un caisson de contention qui n’est plus étanche, des millions de litres d’eau contaminée déversés dans la mer et encore autant sur le site. Le gouvernement nippon a prétendu dès le départ que la situation était sous contrôle mais en réalité le réacteur 1 a commencé à fusionner seulement 16 heures après le séisme…

 

A cet instant, les CRS arrivèrent sur le site. Zuleika revint vers ses collègues, qui s’enchaînaient entre eux et aux bâches, se préparant au choc. Elle conseilla la fuite à Nils. Il repêcha à la hâte Léa et Dagmar entre des militants qui chantaient le Aka[3], pour se donner du courage et ils parvinrent tous trois à s’enfuir avant la charge policière.

 

Le technicien cliqua sur le bouton de droite  de la souris et choisit « Imprimer ». La photo HQ  de Nils, Léa et Dagmar s’enfuyant dans la panique de la manifestation au Blayais sortit sur l’imprimante.  Lebourrin s’en saisit et la montra à un type en costume Gucci et lunettes noires.

-         Bon, je suppose que si on file ça à vos gusses, ça sera suffisant pour les faire taire.

-         Ne vous méprenez pas sur mes intentions. Je veux juste récupérer mes fonds.

-         On pourrait joindre l’utile à l’agréable, non ?

-         Je crois qu’on ne joue pas dans la même catégorie. Je travaille pas pour l’Etat français, mes tarifs sont trop élevés pour eux.

-         Et qu’est-ce qu’on fait pour l’autre zozo, celui de Webactu ?

-         Ils sont à Barcelona, pas vrai ? Tu n’as aucune compétence de ce côté-là des Pyrénées, donc, c’est moi qui m’en occupe. Comme des autres, d’ailleurs… Et toi, tu fermes ta gueule d’incompétent.

-        

-         Vois le reste avec mon secrétaire. Il te remettra l’enveloppe…



[1] Massachusetts Institute of Technology

[2] Genre culinaire espagnol, élevé à Art par les basques espagnols. La tapa ou couvercle où était disposée un peu de nourriture fut destinée à recouvrir les verres des écuyers de Carlos III, afin que ceux-ci mangent entre chaque verre d’alcool et que, par conséquent, un peu moins saouls, ne fassent plus verser le carrosse royal. La tapa a pris ses lettres de noblesse au 20ème siècle, tout d’abord en Euskadi puis en Catalogne et enfin dans le monde entier.

[3] Chant guerrier maori

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Commentaires
ON N'EN PARLE JAMAIS!
  • C'est le grand retour du feuilleton! Sur des sujets brûlants dont normalement, ON N'EN PARLE JAMAIS. Mais justement, on ne va plus parler que de ÇA. Nos deux auteurs, Fred Romano et Franck dit Bart attendent vos commentaires
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